jeudi 9 mars 2017





- I -

Monsieur Jipégé est né adulte. Sa pauvre génitrice s'est épuisée à le mettre au monde. Il a même du finir le travail lui même puisque elle est morte au milieu du processus. En même temps, perdre 78 kilogrammes d'un coup, c'est une expérience traumatisante sur le plan utérin.
Même s'il avait déjà achevé son développement cérébral, Monsieur Jipégé était un peu dépassé par les évènements et n'a pas eu le temps de pleinement se rendre compte de la tragédie qui se jouait. Voilà comment les choses se sont passées pour lui.
Un matin, ou un soir, il ne savait pas trop,une force inconnue s'est mise à compresser les parois de l'utérus dans lequel il vivait depuis un peu moins de neuf mois. Bien sur, il n'appelait pas ça un utérus. Pour lui c'était "le monde", et une force extérieure le poussait à en sortir. Il existait donc une dimension plus large que ce qu'il avait accepté comme "monde". Ce fut un moment de crise existentielle aiguë pour Monsieur Jipégé. Il faut se mettre à sa place à un moment, quand il avait été projeté dans l'état conscient neuf mois auparavant, il était persuadé que ce cloître exigu était une sorte d'antichambre destinée à le faire accepter l'idée de sa propre existence avant que les choses sérieuses ne commencent. Il pensait que, d'ici quelques secondes, une porte s'ouvrirait dans le mur de chair qui lui faisait face et qu'il serait lâché dans un monde sans limites. Alors, Monsieur Jipégé a attendu. Des minutes. Des heures. Il a essayé de se retourner pour voir si la porte s'était ouverte derrière lui et il a entendu la chambre pousser un jappement plaintif. En parlant plus tard avec les chercheurs qui étudiaient son cas, il leur a révélé que le concept de douleur était inné et qu'il l'avait instinctivement associé à ce jappement. Les autres connaissances innées sont, comme nous l'avons déjà vu, le concept de porte et , comme nous allons le voir, l'assurance qu'il existe des singes hurleurs.
Toujours est-il que ce gémissement a stoppé net le mouvement de Monsieur Jipégé, il a compris que ses actions pouvait avoir un impact négatif sur le monde et qu'il valait mieux essayer de lui faire le moins de mal possible. Cette découverte instinctive et instantanée nous donne un bon aperçu du génie de Monsieur Jipégé, qui a saisi en quelques secondes d'existences ce que beaucoup n'ont toujours pas compris après des dizaines d'années de vie sur terre (plus les neuf mois de gestation).
Comme il était d'un naturel attentif et prudent, il a décidé de bouger le moins possible et d'attendre patiemment son éclosion. Comme sa libération tardait à venir, il a commencé à envisager qu'elle puisse ne jamais arriver. Après environ une semaine de gestation, il a accepté que la compression et l'immobilité étaient les conditions essentielles de son expérience de la vie et que l'univers qu'il remplissait à lui tout seul était le seul dont il était sur de l'existence. Il était un peu déçu de devoir renoncer à ses rêves d'aventures et d'exploration dans un monde immense et riche de couleurs inimaginables pour lui qui n'avait jamais vu que le rose vaguement violacé du placenta et le rose transluminescent de ses mains. Malgré la déception, il se sentait reconnaissant d'avoir la chance d’exister dans cet univers, aussi petit et monochrome soit-il. Monsieur Jipégé s'est vite habitué à sa vie et a très bien accepté la disparition de ses espoirs naïfs. En neuf mois, il a mené une introspection d'une profondeur à faire pleurer n'importe quel psychanalyste, même celui de Michel Houellebecq.
Et quand il ne s'imaginait même plus que c'était possible, il a été expulsé sans appel de son minuscule confort.
La porte qu'il avait arrêté d'attendre s'est ouverte devant lui pendant que son univers s'écroulait sur lui même, et elle était trop petite en plus. sentant la pression se faire de plus en plus forte, il a rampé vers la sortie de son cosmos de poche, en s'imaginant qu'il allait au devant de la mort alors qu'il allait vers la vie, le con.







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